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EQUITATION ESSENTIELLE
8 novembre 2014

EQUITATION DE TRADITION FRANÇAISE : ESSAI DE DÉFINITION DU CONCEPT

 

EQUITATION DE TRADITION FRANÇAISE
WP 4 — 09/11/2014

 

 

 

 

 

"VIABILITÉ EFFECTIVE"
DE L’ÉQUITATION DE TRADITION FRANÇAISE

UN CONCEPT FÉDÉRATEUR

par Bernard Mathié ©

 

Synthèse :

L’inscription de l’Equitation de Tradition Française au PCI a été entreprise en dépit de l’absence d’une définition de cet élément patrimonial. Il est urgent de combler cette carence. À défaut, en effet, il serait très difficile, voire impossible de concevoir et mettre en œuvre des actions soutenant la "viabilité effective" des pratiques équestres couvertes par ce concept.

Une fois cadrée dans son contexte historique, la définition recherchée passe par le rappel des principes qui sont censés ou bien inspirer et guider partisans et défenseurs, ou bien éloigner les tenants de pratiques incompatibles. C’est cette entreprise de filtration qui permet d’aboutir à un contenu clair, d’ores et déjà partiellement acté par le Comité intergouvernemental de l’Unesco : le concept d’Équitation de Tradition Française contient la définition d’une équitation de bon aloi, conforme à la fois à l’enseignement de nos maîtres anciens et à la bonne conduite qui a pour règle première la préservation du cheval et de son intégrité physique et mentale. Le concept est au demeurant assez puissant et suffisamment englobant pour être étendu aux pratiques équestres sportives sous réserve expresse que celles-ci répondent aux normes éthiques particulièrement sévères édictées à leur intention.

On peut donc, de la sorte, proposer une définition sobre et largement fédératrice de l’Équitation de Tradition Française.

 

 

Lors de l’inscription de l’Equitation de Tradition Française sur la Liste Représentative du Patrimoine Culturel Immatériel, en novembre 2011,  l’Organe Subsidiaire chargé de l’instruction du dossier présenté par la France avait émis un avis non consensuel, lequel était révélateur des problèmes posés par le concept d’Équitation de Tradition Française tel qu'il avait été soumis à l’appréciation des experts de l’Unesco. Ces problèmes sont les suivants :

1° quelle est la vraie communauté de cavaliers qui peut se réclamer légitimement de l’équitation de tradition française ?

2° quelles sont les fonctions sociales de cette équitation dans cette communauté des cavaliers ?

3° quels sont les modes de transmission de la tradition équestre française ?

4° le dossier déposé par le Cadre Noir et le ministère de la Culture  a-t-il pour véritable objectif la sauvegarde d’un patrimoine culturel immatériel tel que l’entend la Convention de l’Unesco ; ou bien, au contraire, s’agit-il seulement de défendre et de promouvoir la seule dérive sportive de l’équitation française de tradition ?

Ces quatre questions résument fondamentalement l’ensemble des interrogations qu'il convient de mettre en avant pour faciliter une approche rationnelle du concept d’Équitation de Tradition Française.

Une telle approche comporte plusieurs étapes.

En tout premier lieu (I), il convient, à partir des principes énoncés par la requête d’inscription, de définir le concept en délimitant ses contours et en analysant son contenu.

En second lieu (II), il s’agira d’élargir les champs d’investigation à des pratiques équestres pouvant être classées comme compatibles avec le concept défini.

En troisième lieu (III), c’est la Communauté des cavaliers qui se reconnaissent dans l’ensemble des caractéristiques et attributifs du concept d’Équitation de Tradition Française qu'il s’agit de délimiter en considérant que le concept entraîne l’émergence d’une mouvance plutôt que celle d’un cercle élitaire  fermé ; sans cependant que l’on tombe dans le travers permissif du mélange des genres, et sans que l’on dépasse, par une bienveillance qui serait laxiste, les limites fixées par les termes de la requête initiale d’inscription faite à l’Unesco.

Enfin, on devra analyser (IV) les modes de transmission actuels et énoncer les critères d’une amélioration des voies et techniques de la transmission du patrimoine aux générations suivantes.

Mais, pour l’heure, la priorité est à l’établissement du concept d’Équitation de Tradition Française en réunissant les conditions d’une définition de nature à satisfaire la plus large partie possible de la Communauté qui s’en réclame.

 

I.- ESSAI DE DÉFINITION DU CONCEPT D’ÉQUITATION DE TRADITION FRANÇAISE

1. Un point de départ logique : l’évolution historique

Depuis la Renaissance, l’enseignement équestre, encadré par l’autorité royale était certes orienté vers l’apprentissage de la manœuvre de guerre, mais tout se passait comme si l’équitation de guerre se confondait, dans une large mesure, avec une équitation d’apparat caractérisée par l’affinement progressif du recours aux aides à l’occasion de la mise en main du cheval.

La scission du fait équestre en ces deux courants fondamentaux que sont l’équitation d’apparat et l’équitation de guerre date véritablement de la création de l’Ecole Militaire de Paris sous la férule de Jacques d’Auvergne, en 1756. De ce temps cependant, aucun des grands principes fondant l’équitation antérieure n’était remis en cause par le nouveau courant militaire. On se contenta de retirer à l’équitation d’apparat toutes les "superfluités" qui n’étaient pas indispensables à l’équitation de combat.

Les choses se compliquent lorsque la Révolution et son bâtard, le Premier Empire, vinrent profondément chambouler l’organisation et le contenu de la doctrine équestre.

Le vicomte d’Aure, confronté aux exigences d’efficacité en campagne des corps de  cavaleries, résume comme suit l’équitation qu'il a conçue pour les escadrons en opération : "Les préceptes de notre ancienne équitation nous sont toujours nécessaires, sans nul doute : ils doivent être surtout plus ou moins modifiés, en raison de l’emploi auquel on veut astreindre le cheval, comme en raison de l’espèce à laquelle on s’adresse. L’art, en se généralisant, doit se simplifier… Il doit être appliqué de nos jours à régulariser les allures, à posséder le cheval tout en lui laissant son énergie naturelle et l’aidant à développer, presque de lui-même, les qualités qui lui sont propres".

L’art équestre s’épanche ailleurs. Baucher revient aux principes anciens tout en les adaptant à une équitation nouvelle retrouvant l’objectif de légèreté, non plus, comme du temps de La Guérinière, en couronnement de l’éducation du cheval, mais en préalable à tout emploi, quel qu'il fût : l’équilibre du cheval devient un impératif initial et primordial ; l’équitation est un champ d’exploration où savoir-faire ancien et connaissance scientifique cohabitent dans une émulation sans fin vers la perfectibilité de la soumission aux aides les plus fines. Tant et si bien que, pour l’initiation équestre de la troupe, la manière bauchérienne se voit rejetée pour tare de complexité.

Il ne faut au cavalier de base que la témérité et l’assurance qui permettent l’engagement des escadrons dans la masse des chevaux présents sur le champ de bataille et sous le feu de l’artillerie ennemie. Foin des fioritures ! Il faut juste charger l’ennemi lorsque sonne la trompette, puis, si possible, se regrouper derrière les lignes, sinon mourir dans la mêlée... Pour cela, maîtriser le mouvement en avant aux trois allures, savoir tourner, tenir le trajet du repli, tels sont les fondamentaux du cavalier d’escadron. L’art n’a plus guère sa place dans cette manière militaire.

Or il advint que la cavalerie devint manifestement obsolète pour la gent de guerre. Et tout naturellement cette équitation de combat se mua en équitation d’émulation civile, où les cavaliers ne se mesuraient plus à l’ennemi, mais à l’adversaire sportif. Le sport équestre naquit de la sorte, de la déliquescence des corps de cavalerie. La mutation était accomplie dès le début du XXème siècle, lorsque les élèves de Montjou se mirent à fréquenter assidûment les terrains de concours.

Le fait sportif s’amplifia peu à peu jusqu’à devenir dominant et emporter les suffrages d’une majorité de pratiquants équestres, laissant au bord du chemin ceux, parmi eux, qui s’entêtaient à cultiver l’art équestre ou, du moins, une équitation inspirée des pratiques anciennes.

2. Rappel des principes.

Pour une première approche, on pourrait, en exergue, poser, à l’instar des rédacteurs du projet d’inscription, les principes de base suivants :

1° principe de l’harmonie des relations entre l’homme et le cheval, basées sur l’authenticité et la sincérité, mais aussi sur la maîtrise de la gestuelle et la connaissance approfondie du cheval ;

2° principe de l’importance du legs culturel constitué par la somme des travaux, expériences et relations écrites des grands maîtres du passé ;

3° principe de la transmission (non figée) de la tradition de génération en génération, assurant une continuité de l’héritage du 16ème siècle à nos jours ;

4° principe du refus de toute logique de compétition équestre sportive ou autre : parce qu'elle est bien plus qu'une simple activité physique ou sportive, l’équitation de tradition française s’oppose à l’équitation de compétition.

A. Le principe de l’harmonie des relations entre l’homme et le cheval.

Dès l'antiquité, l'hipparque Xénophon avait écrit : "Si l'on veut avoir un cheval qui soit plus magnifique et plus étincelant à monter, il faut s'abstenir de lui tirer sur la bouche avec le mors, de lui donner de l'éperon et de la cravache, pratiques par lesquelles on se figure souvent faire briller sa monture, on obtient alors le résultat exactement opposé à celui que l'on cherche". Quand s'installèrent en France les premiers écuyers formés par le prince transalpin Pignatelli, on retrouve, unanimement, tant chez Salomon de La Broue, que chez Antoine de Pluvinel ou encore chez Pierre de La Noüe, cette spécificité française d’une relation au cheval faite de douceur, plutôt que de sévérité. Tous trois lèguent à leurs successeurs un art équestre cherchant la voie d’une certaine légèreté à travers un emploi conçu "tant pour le plaisir de la Carrière et des Carozels que pour le service de la Guerre" : déjà les buts se diversifient et, au-delà de l’utilitarisme guerrier, cette option d’ouverture préfigure, très tôt, l’équitation d’apparat qui sera celle de la Cour du Roi Soleil.

C’est ainsi que, dès le XVIème siècle, les écuyers avaient posé l’un des principes premiers de l’équitation, directement inspiré de la nature du cheval : en mobilisant sa mâchoire inférieure, le cheval se décontracte tout entier. Le principe de la légèreté était ainsi fixé dès le départ. Il sera confirmé par La Guérinière et les classiques. Il sera entériné par Baucher. L’Hotte en fera le signe distinctif de la haute école en associant mobilité de la mâchoire et flexibilité des hanches. Decarpentry, rédacteur du règlement international de compétition de dressage de 1929, explicite, dans son ouvrage Équitation Académique la définition de L’Hotte et, dans une longue étude, précise que "la mise en main, c’est la décontraction de la bouche dans la position du ramener".

On peut donc considérer que la mise en main constitue traditionnellement la forme la plus aboutie de la relation du cavalier au cheval, celle qui autorise l’instauration du lien de confiance entre la main du cavalier et la bouche du cheval et, partant, avec le corps du cheval tout entier. Peu à peu, la complicité envahit la relation, au fur et à mesure que la main du cavalier se fixe, c’est-à-dire n’entrave plus d’aucune façon le mouvement de la tête du cheval. On est alors au stade optimal de l’entente où toutes les conditions de la légèreté sont réunies, où tout est organisé en vue de concourir à l’équilibre, où tout respire l’harmonie dans le couple. Tout idée même de coercition est bannie.

B. Le principe de l’importance du legs culturel

Depuis plus de cinq siècles, les grands écuyers, à quelque école qu'ils appartiennent, ont cette même intuition, pur fruit de leur expérience, que les résistances du cheval seraient, pour l’essentiel, logées dans la tête et dans l’encolure. Empiriquement, cette observation a donné lieu à plusieurs formulations successives, au fil du temps.

 

En 1550, Grisone, observant son cheval constatera que lorsqu’il  "… s’embride, le mufle retiré pour aller férir du front, il n’en sera pas seulement plus ferme de bouche, mais aussi il tiendra son col ferme et dur, jamais ne la mouvant hors de son lieu, et avec un doux appui s’accompagnera et agencera de sorte la bouche avec la bride, la mâchant toujours qu’il semblera qu’elle y soit miraculeusement née : et tant plus on le travaillera, tant plus croîtra sa vertu, et de quelque qualité qu’il soit, ou bonne ou mauvaise, il se montera en cette façon toujours gaillard et galant avec une grande apparence de perfection".

en 1594, La Broue, dissertant sur les bons effets de la bride, confirmera : "Si, par l’art et la patience, le cheval a déjà été gagné, fortifié, facilité, et enfin rendu paisible, attentif et assuré aux actions et mouvements du bon cavalerice, en bonne haleine, en facile obéissance d’école… sans doute la bouche se pourra trouver en l’exercice, ferme, droite et fraîche par la juste situation de l’embouchure bien ordonnée ; et la tête avec le col, en belle et légère posture, par l’action ramenante, et le soutien de la branche bien proportionnée de tour et de longueur…".

en 1733, La Guérinière enchaîne : " … on résiste de plus en plus en tenant le cheval dans un appui plus fort, ce qui provoque la main ferme ; et alors on adoucit et on diminue le sentiment du mors avant de passer à la main légère… La main légère est celle qui ne sent pas l’appui du mors sur les barres [le cheval étant alors] tout à fait libre, sans bride". Et encore : " … C’est une aide des plus subtiles car il faut nécessairement qu’il [le cheval] demeure léger à la main, n’ayant point de quoi appuyer sa tête".

en 1842, Baucher, découvre par là-même le fondement de sa méthode : "Je réfléchissais, et pendant que mon esprit travaillait, ma main était demeurée fixe. Tout à coup, je sens [mon cheval] Bienfaisant léger. Bienfaisant a rendu, Bienfaisant ne résiste plus ! ... Je reconnus que la fixité de ma main avait déterminé la cession du cheval…". Et peu après, en 1844 : "Lorsque j’eus reconnu lapuissante influence que la roideur de l’encolure exerce sur tout le mécanisme du cheval, je recherchais attentivement les moyens d’y remédier. Les résistances à la main sont toujours latérales, hautes ou basses. Je plaçais d’abord dans l’encolure la source de ces résistances, et je m’exerçais à l’assouplir par des flexions réitérées dans tous les sens. Le résultat fut immense : mais quoique, au bout d’un certain temps, la souplesse de l’encolure me rendit maître des forces de l’avant-main, j’éprouvais encore une légère résistance dont je ne pouvais d’abord me rendre compte, et que je découvris enfin venir de la mâchoire. La flexibilité que j’avais communiquée à l’encolure facilitait même cette roideur des muscles de la ganache, en permettant au cheval de se soustraire, dans certains cas, à l’action du mors. J’avisais donc immédiatement aux moyens de combattre ces résistances dans leur dernier retranchement, et c’est par-là, et depuis lors, que je commence toujours mon travail d’assouplissement".

en 1906, L’Hotte aborde le même sujet en ces termes : « La mobilité de la mâchoire ne se constate pas seulement par sa soumission ; la flexibilité de cette région va loin en provoquant celle de l’encolure, puis des autres ressorts, par suite de la corrélation… existant instinctivement entre les contractions musculaires…".

en 1932 la rédaction de l’article 83 du Règlement de la Fédération Internationale d’Équitation est le couronnement des constatations de tous les grands maîtres du passé : "À toutes les allures, une légère mobilité de la mâchoire, sans nervosité, est une garantie de la soumission du cheval et de la répartition harmonieuse de ses forces". Malheureusement, cette disposition a, depuis lors, disparu du Règlement.

en 1949, Decarpentry la remettra a l’honneur : "Quand il a trouvé l’attitude qui convient au travail exigé de lui, quand il sait s’y maintenir sans aucun effort inutile, en pleine possession de son équilibre et avec la parfaite aisance de ses mouvements, quand en un mot cher aux anciens, le cheval "se plaît dans son air", les muscles que ses tentatives d’adaptation aux exigences de son cavalier avaient plus ou moins crispés se détendent, et leur détente gagne de proche en proche tout l’appareil musculaire. À la période d’efforts plus ou moins mal orientés pendant laquelle, tout comme l’homme, le cheval avait serré les dents, succède un état d’harmonie dans la dépense des forces, de détente, sous l’influence duquel ses mâchoires se desserrent, et où le cheval, suivant une locution populaire "retrouve sa salive" ; il "goûte son mors", il se montre "galant dans sa bouche", disaient encore les anciens".

Plus près de nous encore, en 1991, Oliveira ("cet apôtre de l’équitation à la française" – expression du Général P. Durand)) : "… Le cavalier actuel croit que dresser un cheval c’est engager les postérieurs pour que la bouche devienne aimable…Tout comme chez l’homme, il y a des chevaux plus ou moins bavards, et d’autres qui sont muets. Il faut savoir combien de temps laisser bavarder un cheval pour que, grâce à la cadence et à l’impulsion, il se livre calmement aux différentes demandes et cesse progressivement de bavarder. Si l’on veut l’en empêcher trop tôt, on peut le faire en serrant la muserolle allemande et que se passe-t-il alors ? Le cheval se contracte dans toute sa tête, les parotides ne peuvent pas sortir de leurs loges, les muscles de l’encolure deviennent rigides et, corrélativement, tous les autres muscles se raidissent. Ignorant cela, la plupart des cavaliers disent : "enfin il est tendu !"… Le cheval contracté dans sa mâchoire peut bien sûr mettre quand même du poids sur l’arrière-main, en écrasant les postérieurs, sans la possibilité de les fléchir comme il peut le faire lorsqu’il est léger dans sa mâchoire. N’oubliez pas la corrélation qui existe entre tous les muscles du cheval".

Pour ceux qui considèrent, comme moi, que la mobilisation de la mâchoire inférieure est le sésame de la soumission du cheval aux aides du cavalier, il convenait de rappeler d’où nous vient cette habitude d’interroger la bouche de notre monture avant de lui demander l’exécution d’une tâche quelconque.

Par le biais du respect de cette nécessité d’obtenir l’assentiment du cheval plutôt que de le contraindre à l’exécution d’un mouvement sans l’indispensable préparation préalable, il ne s’agit pas d’établir un clivage entre l’équitation savante et celle qui le serait moins. Il s’agit, plus simplement, d’affirmer comme un objectif incontournable, de conduire le cheval dans le respect de ses aptitudes du moment, telles qu'elles apparaissent concrètement. Bref, quelque soit l’usage du cheval, il s’agit de prendre, selon la formule consacrée, soin de son intégrité physique et mentale.

C’est là qu'est le legs principal de nos prédécesseurs. C’est cet héritage, précisément, qu'il convient de préserver et de transmettre, car il est le contenu primordial de l’Équitation de Tradition Française.

C. Le principe de la transmission (non figée)

Transmettre, c’est à la fois pérenniser des comportements, même innovants, et en  remettre l’essentiel à la génération suivante.

Le transfert, pour s’opérer, a besoin de réunir plusieurs conditions :

a) il convient d’abord de définir le contenu de ce qui est transférable : c’est ce qui est en cours avec l’essai de définition de l’Équitation de Tradition Française tenté ici.

b) il convient ensuite de choisir la bonne voie (ou courroie) de transmission : c’est assurément le canal de l’enseignement équestre qui semble représenter, à tous les niveaux, le meilleur et le plus direct des moyens de transfert. Ce choix pose la question de savoir si l’enseignement équestre, tel qu'il est organisé, plus particulièrement en France, mais aussi en d’autres lieux intéressés par l’Équitation de Tradition Française, est de nature à pouvoir assurer la transmission envisagée ou bien s’il convient, avant toute mise en œuvre de cette transmission, corriger les errements des systèmes de formation des enseignants…

c) il convient ensuite de bien cibler le destinataire ou bénéficiaire de la transmission : c’est d’abord la Communauté réunie autour du concept d’Équitation de Tradition Française ; mais c’est aussi, par l’intermédiaire de cette Communauté, l’ensemble des cavaliers qui le souhaitent. Avant même d’envisager une quelconque transmission, il conviendra donc de bien fixer les contours de la Communauté dont s’agit ; elle est en effet, pour l’heure, au stade d’une grande nébuleuse dont toutes les mouvances équestres peuvent se réclamer à un titre ou à un autre. Conserver à cette Communauté des contours aussi indéfinis et flous signifierait immanquablement en paralyser toute espèce d’action ou représentativité. C’est donc un impératif absolu de cerner assez précisément les contours de la Communauté avant de songer à œuvrer dans le sens d’une viabilité effective du patrimoine inscrit.

D. Le principe du refus de toute logique de compétition équestre sportive ou autre

L’art équestre est ici parfaitement cohérent avec lui-même : aucune visée de compétition ne saurait en brouiller l’un ou l’autre aspect.

Pour ce qui est des autres pratiques équestres, dans la mesure où elles  sont engagées sur le mode sportif, elles ne sont à l’abri de l’esprit de compétition que par un renoncement explicite à tout classement, à toute récompense caractérisée, à toute expression de palmarès, bref à tout ce qui peut relever de "la logique de compétition équestre".

Cet engagement de préserver l’Equitation de Tradition Française de toute altération qui trouverait son origine du côté des pratiques sportives est essentiel aux yeux de l’Unesco : celle-ci demande en effet à la Communauté qui se réclame de cette équitation inscrite au patrimoine culturel immatériel de "démontrer que l’objectif principal des mesures proposées est la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel au sens de la Convention, plutôt que la promotion d’une pratique sportive française".

Si l’on observe l’équitation positive (c’est-à-dire celle qui est effectivement pratiquée par le plus grand nombre), on voit bien que la renonciation pure et simple à toute esprit de compétition relèverait de l’utopie fantasque. La vraie difficulté naît de cette réalité de terrain, qui se trouve en totale contradiction avec les engagements pris lors de l’inscription de l’Equitation de Tradition Française au Patrimoine Culturel Immatériel.

Comment, dès lors, solutionner ce dilemme absolu : admettre, dans la Communauté représentative du patrimoine inscrit un élément totalement contraire à l’esprit de ce patrimoine ? 

Une seule solution semble tolérable. Elle passe par un renforcement drastique de l’éthique de la compétition. Parmi les cavaliers de compétition, seuls, ceux qui souscriraient à cette éthique et la respecteraient à la lettre pourraient se réclamer de la Communauté de l’Équitation de Tradition Française.

À partir de cette idée, les cavaliers pratiquant la compétition équestre sportive pourraient, sous certaines conditions très restrictives, se voir accueillis dans la Communauté représentative du patrimoine inscrit. Resteront à définir, dans le plus infime détail, les restrictions envisagées. Elles concerneront notamment (et de manière non limitative) les pratiques d’entraînement, l’équipement des chevaux et des cavalier(e)s, le comportement de ces derniers, la transparence des opérations commerciales et financières concernant l’événement sportif, les systèmes de dotations directes ou indirectes, les systèmes de notation des juges, etc…

3. Contenu du concept

On sait ce que nous enseigne la tradition équestre française : notre équitation est caractérisée par une relation sui generis au cheval, construite sur le principe d’harmonie. Cette relation est basée sur "l’authenticité et la sincérité, mais aussi sur la maîtrise de la gestuelle et la connaissance approfondie du cheval" ; elle est par conséquent tant émotionnelle que technique, ce qui correspond à ce qu'en ont dit un certain nombre de maîtres, tel Oliveira (en équitation, il y a la technique et l’âme !). Cette première approche a été actée par le Comité intergouvernemental de l’Unesco.

Les questions qui resteraient en suspens à cet égard sont les suivantes :

a) que faut-il entendre précisément par "authenticité" et par "sincérité" ? Ce sont là deux concepts subjectifs qu'il convient de préciser et d’objectiver dès lors que l’on veut en faire des critères d’appréciation valides.

b) quel est le niveau technique de la maîtrise gestuelle requise pour que l’on puisse agréger une pratique équestre à l’Équitation de Tradition Française ? Est-il seulement indispensable d’avoir un niveau équestre élevé pour adhérer aux valeurs véhiculées par le concept d’Équitation de Tradition Française ?

c) quant à "la connaissance approfondie du cheval", on doit s’interroger, là aussi, sur le contenu de ce savoir et, en même temps, on doit craindre les dérives inhérentes à la diffusion des savoirs du domaine de l’hippologie : peut-on fuir raisonnablement toutes les considérations issues de l’observation du cheval dans son milieu naturel (éthologie) ou celles qui s’appuient sur des avancées scientifiques récentes et avérées dans les domaines comme la cybernétique, l’ergonomie, la sémantique, la psychologie comportementaliste, les neurosciences cognitives, et bien d’autres encore ?

On sait par ailleurs que l’Equitation de Tradition Française "c’est aussi une façon de s’affirmer face à la déviation potentiellement dangereuse d’une forme ‘d’uniformisation’ entraînée par les compétitions sportives et leurs réglementations". Mais, pour ne pas jeter l’anathème sur le sport équestre tout entier et pour ne pas "excommunier" les nombreux cavaliers concernés, il faudra bien accueillir ceux d’entre eux qui auront adhéré aux recommandations éthiques émises par la Communauté qui se réclame du patrimoine inscrit. "Potentiellement dangereux" ne signifie pas, en effet, que le danger est omniprésent, mais seulement que la compétition est naturellement encline à le provoquer. Il suffit dès lors d’affirmer clairement les règles éthiques qui permettent de pallier à tous les errements, d’une part et, d’autre part, de mettre en place les structures de contrôle avec consigne de tolérance zéro pour toute infraction à la bonne conduite.

Au total, le concept d’Équitation de Tradition Française contient la définition d’une équitation de bon aloi, conforme à la fois à l’enseignement de nos maîtres anciens ou  moins anciens et à la bonne conduite qui a pour règle première la préservation du cheval et de son intégrité physique et mentale ; de surcroît, le concept est assez puissant et suffisamment englobant pour être étendu aux pratiques équestres sportives sous réserve expresse que celles-ci répondent aux normes éthiques particulièrement sévères édictées à leur intention.

4. Qu'est-ce que l’Équitation de Tradition Française ?

En partant de la description figurant dans la requête d’inscription déposée auprès de l’Unesco, on dira que "L’équitation de tradition française est un art de monter à cheval ayant comme caractéristique de mettre en relief une harmonie des relations entre l’homme et le cheval. Les principes et processus fondamentaux de l’éducation du cheval sont l’absence d’effets de force et de contraintes ainsi que des demandes harmonieuses de l’homme respectant le corps et l’humeur du cheval. La connaissance de l’animal (physiologie, psychologie et anatomie) et de la nature humaine (émotions et corps) est complétée par un état d’esprit alliant compétence et respect du cheval. La fluidité des mouvements et la flexibilité des articulations assurent que le cheval participe volontairement aux exercices".

En conclusion, on pourrait donc, de la sorte, proposer une définition sobre et largement fédératrice de l’Équitation de Tradition Française : issue des pratiques équestres cultivées depuis plusieurs siècles par une longue lignée d’écuyers et leurs élèves, elle est caractérisée par l’harmonie de la relation entre le cheval et son cavalier et une pratique fondée sur la recherche de légèretés et sur le renoncement à toute forme de violence coercitive ou de surexploitation économique et commerciale

 

 

Prochain article :

II.- Pratiques équestres compatibles avec l’Equitation de Tradition Française.

 

 

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